Le jour de leur départ pour d’autres structures d’accueil, le constat est fait : aucun incident notable n’a été relevé, le gymnase a été rendu dans un état très correct, et de belles rencontres sont nées de cet événement, le tout dans un climat très digne. Nous avons croisé le chemin de l’un d’eux qui nous a raconté son parcours depuis son Afghanistan natal. Nous l’appellerons Milad.
De Kaboul à Lagny
Un silence lourd règne dans le gymnase Thierry Rey. Seuls l’ondulation des couvertures et le grincement des lits de camp attestent d’une présence humaine. Les petites mains de l’association la Rose des Vents s’affèrent avec pudeur et humilité. A leur côté, un jeune homme traduit une conversation. Il s’appelle Milad, il a 25 ans, il est Afghan. Il ne fait pas partie du camp de réfugiés mais vient apporter son aide. Lui aussi a connu la peur, la solitude, le désœuvrement. Il nous déroule son récit, sa fuite aveugle, de Kaboul à Paris.
La guerre civile gronde depuis plus de 40 ans en Afghanistan. Milad est étudiant en droit à l’université de Kaboul. Il participe à un programme scolaire américain avant de rentrer dans sa province natale pour enseigner l’anglais dans une école. Mais l’éducation est la cible privilégiée des Talibans et religieux extrémistes… En 2012, ils attaquent son école. Pour Milad, c’est le début de l’exil, une odyssée fiévreuse, sans destination.
« Place de la République il fait la connaissance d’étudiants français. Les portes s’ouvrent alors les unes après les autres. »
D’abord six, cinquante puis des centaines, le nombre de migrants s’accroît au fil du chemin. Il faut d’abord rejoindre l’Iran puis la Turquie, marcher la nuit, dormir le jour, rester terré une dizaine d’heures sous le chassis d’un camion pour franchir la frontière, débarquer d’un bateau en pleine nuit sans savoir nager, dans la terreur d’être repéré.
Arrivé en Grèce Milad est arrêté puis relâché. Il rejoint l’ltalie, la France puis la Belgique où il vit 3 ans avant de retourner en France en 2014. Le bout du tunnel n’est alors plus très loin. Lors d’une manifestation de solidarité avec les réfugiés, organisée Place de la République, il fait la connaissance d’étudiants français. Les portes s’ouvrent alors les unes après les autres : celle de l’Ecole Normale Supérieure puis celle de la Sorbonne où il intègre des programmes pour réfugiés et apprend le français.
Milad vient d’obtenir le statut de réfugié pour 10 ans et de réussir l’examen d’entrée à l’université française. Le 2 septembre, il a repris ses études de droit ainsi que le cours de sa vie.
SON ESPOIR : FAIRE VENIR SA FAMILLE (SES SIX FRÈRES ET SOEURS) DONT IL N’A PLUS DE NOUVELLES DEPUIS 4 ANS.
De Lisbonne à Lagny
Maria et Antonio font partie de ces immigrés européens ayant quitté leur pays pour fuir la dictature et la “misère” comme ils disent.
C’est dans leur village natal de Caranguejeira, au centre du Portugal, qu’ils se rencontrent en 1954. Antonio a 21 ans, Maria 16. Il vit à Lisbonne où il travaille comme maçon depuis la mort de sa mère. Elle vit au village où elle travaille aux champs pour aider ses parents.
Après deux années de correspondance et de voyages aller-retour, Antonio épouse Maria un 14 juillet 1956. Un présage? Ils emménagent au village et leur première fille, Maria Alcinda, naît 13 mois plus tard.
Privés de droit sous la dictature salazariste, meurtris par les effets de la misère (Maria a perdu un frère à 11 ans) et les difficultés économiques, Antonio décide de tenter sa chance en France. En 1961, il obtient un passeport « de touriste » d’une durée limitée de 6 mois en échange d’une caution de 5000 escudos, une somme importante pour l’époque qu’il ne récupérera jamais. S’ensuivent 1600 km de route clandestine, en passant par l’Espagne qu’Antonio fera à bord d’un taxi, se faisant passer pour un riche touriste.
Une stratégie gagnante : après deux jours de route, il arrive en France et trouve du travail dans l’Est parisien auprès d’un patron italien, «un père», qu’il servira pendant dix-neuf ans. Quelques temps après son départ naît Marie Irène.
Pendant 4 ans, Maria et Antonio supportent cette séparation jusqu’à ce jour de 1965 où le service de l’immigration autorise Maria à rejoindre
son époux sur le sol français. Aidée par le généreux patron d’Antonio, lui-même issu de l’immigration, la famille prend ses marques. Maria trouve un travail de femme de ménage et Antonio l’énergie de bâtir leur nouvelle maison. Une maisonnette au fond du jardin laissera la place à la maison actuelle. C’est le temps des jours heureux, à Lagny-sur-Marne.
Un an plus tard naît leur troisième fille, Jocelyne (plus besoin de la prénommer Maria comme l’imposait la dictature), puis 5 ans plus tard, la petite dernière, Maryline.
Dans cette maison de la rue de Bel Air, il fait toujours bon vivre. Les enfants ont laissé la place aux petits-enfants puis aux arrière-petits-enfants.
Le Portugal n’est plus le pays de la misère même s’il en garde le souvenir et le couple y retourne une fois par an.